Performance audiovisuelle - 2025
Antenne, amplificateur radio, radio logicielle, ordinateur, traitements audio.
Depuis plus de 20 ans, les trois satellites NOAA traversent notre ciel à plus de 20 000 km/h pour scanner en continu les nuages et les énergies rayonnantes de la Terre.
An eye from above est une performance qui tente de recevoir en direct le signal émis par l’un de ces satellites à l’aide d’une antenne adaptée et d’une radio réglée sur 137 MHz. Alors que le satellite s’élève au dessus de notre horizon, son signal émerge lentement du bruit environnant pour donner à entendre une pulsation caractéristique. L’antenne agit comme un révélateur et rend perceptible cette énergie électrique qui traverse nos corps et notre environnement parmi une multitude d’autres signaux artificiels.
Poésie des protocoles analogiques : cette pulsation peut être décodée en image. Lentement, ligne après ligne, une nephanalyse des 2000 km qui nous entourent apparait. Les nuages et les radiations infrarouges du sol s’affichent, proposant un décalage de notre point de vue vers celui d’un objet spatial.
Contexte
Les satellites NOAA 15, NOAA 18 et NOAA 191 ont été mis en orbite entre 1998 et 2009 par l'agence météorologique états-unienne. Leur objectif est de fournir des données pour aider à construire les prévisions météorologiques. Pour cela ils scannent la Terre de manière continue dans les domaines visibles et infrarouges et transmettent les images obtenues par ondes radio vers la surface du sol. Leurs orbites sont connues et il est possible de capter leur transmission en étant positionné au bon endroit au bon moment, avec le bon matériel.
Un des signaux envoyé est un balayage réalisé à la verticale du satellite deux fois par seconde2 . Ce signal analogique peut être réceptionné avec une simple antenne accordée à 137 MHz puis démodulé sous forme sonore ou visuelle dans une radio logicielle. Le son produit est une pulsation à 120 BPM très caractéristique alors que la vidéo est une photo de la Terre qui s'affiche ligne après ligne évoluant avec le déplacement du satellite.
Les autres membres de cette famille NOAA-POES de satellites ne sont plus fonctionnels, devenus satellites zombies ou désintégrés volontairement en orbite. Et avec la complexification des télécommunications orbitales, ces infrastructures que des amateur·ices peuvent facilement réceptionner vivent leurs dernières heures.
Schéma du scan réalisé par les satellites NOAA3.
1 : NOAA pour National Oceanic and Atmospheric Administration.
2 : Signal APT - Automatic Picture Transmission, voir Sig ID wiki pour plus de détails.
3 : Tiré de "Satellite Remote Sensing of Sea Surface Temperatures", par P.J. Minnett, 2001.
Note d'intention
Les vitesses et distances en jeu dans les orbites des satellites sont si élevées qu'elles invitent à changer d'échelle : de l'humain au globe terrestre. L'onde radio est le seul outil qui permet de communiquer avec ces objets.
Dans An eye from above, je travaille avec trois satellites qui partagent des caractéristiques intéressantes pour une performance artistique :
- Ils sont bien documentés4 et émettent un signal vers la Terre relativement facile à recevoir avec du matériel peu couteux (~50€ et un ordinateur).
- Ce signal est une une photo en temps réel de la Terre vue du satellite qui peut également être décodée en son, produisant une pulsation rythmée caractéristique.
Cette dualité image / son est une propriété des transmissions analogiques qui disparait dans les transmissions numériques plus modernes. Au delà d'une écoute esthétique, le son entendu par le public lors de la performance possède des propriétés sémantiques : grâce à lui, on se projette vers le satellite passant dans le ciel, on le cherche du regard, on l'imagine en fonctionnement, on se décale vers son point de vue. Pour avoir cette force évocatrice, une légère médiation doit être faite en amont de la performance pour expliquer la force du dispositif afin de charger le son que l'on entend, tout en laissant la place au sensible et à l'imaginaire individuel.
A la différence d'autres projets artistiques autour de ces satellites, An eye from above propose une performance en direct avec écoute et visualisation du signal en temps réel qui renforce l'imaginaire. Le satellite passe en ce moment au dessus de nous, ce n'est pas une métaphore : le signal est une onde qui nous traverse maintenant et l'image que l'on voit correspond à l'état actuel du ciel.
C'est aussi une manière d'évoquer la complexité du spectre radio. Ce que l'on décode ici n'est qu'une infime partie du paysage radio à un instant donné ... que contiennent les autres ondes?
4 : Voir par exemple les limpides explications de Jacopo Cassinis ou le travail du collectif Open Weather.
Performance
Le public est réuni de nuit en extérieur à un horaire précis. Dix minutes avant le passage du satellite, la performance débute par une courte introduction : présentation du satellite, de son rôle et de son orbite, explication du dispositif et présentation du matériel, moment estimé de l'apparition dans le ciel.
Allumage du matériel radio. Du bruit apparait dans les enceintes et à l'écran, l'attente du satellite débute.
Au bout de quelques minutes le satellite apparait à l'horizon et un signal émerge dans le bruit.
Au début simples bips, le signal se clarifie et le bruit diminue. Le son entendu pulse deux fois par seconde. L'image se précise et à chaque pulsation une ligne se dessine à l'écran, représentant une photo horizontale prise directement sous le satellite.
Au fur et à mesure du trajet, le son évolue du fait que le satellite avance vers nous, passe à notre vertical, puis s'éloigne (effet Doppler). L'artiste joue très légèrement sur le son en direct en sculptant son timbre. L'image se complète ligne par ligne et affiche une photo vue du ciel des 2000 km autour du lieu de la performance qui devient reconnaissable.
Au bout de quinze minutes, le satellite disparaît derrière l'horizon, le signal se brouille et le bruit revient à l'écran et au son.
Extinction du matériel radio
Note technique
Réception radio :
- Antenne dipôle en V ajustée précisément in-situ à la fréquence du satellite avec un analyseur de spectre.
- Chaîne de reception : filtre autour de 137 MHz, LNA (Low noise amplifier).
- Acquisition numérique : RTL-SDR v3.
Traitement logiciel :
- librairie rtl-sdr.
- Démodulation sonore : SDRAngel.
- Démodulation vidéo : patch Pure Data + GEM.
Traitement audio :
- Elektron Analog Heat.
Crédits
Photos couleurs du festival Tsonami par Raúl Goycoolea.